Il s'appelle Tahar Ben Jelloun. Il est Marocain. Et il est, aussi, l'auteur de langue française le plus traduit au monde. Il vit actuellement à Paris, mais fait souvent des retours à Tanger et à Fès, villes où il a grandi et où il aime à se retrouver pour puiser son inspiration.
A le rencontrer et à l'entendre parler, on découvre un homme à la fois humble et simple aux discours longs, graves mais mesurés. C'est quelqu'un qui aime se mêler avec les gens, vivre parmi eux, leur parler et les scruter...Ses lieux de prédilection sont les cafés populaires où il aime à occuper une table sur leurs terrasses pour boire son thé à la menthe et mieux observer les gens qui défilent devant et autour de lui. Les gens ne le connaissent pas, ne savent pas qui il est vraiment... Certains viennent même lui demander du feu ou une cigarette sans se douter qu'ils ont affaire à un des écrivains les plus prolifiques et les plus doués de sa génération.
Le secret de son succès tient surtout à son incomparable talent de conteur qui fait plonger ses lecteurs dans un univers romanesque où vivent des personnages atypiques, superstitieux, extravagants , drôles, et attachants formant un microcosme quelque peu loufoque à l'image de la société où ils évoluent. Ses premiers écrits furent des poèmes qu'il composa dans sa jeunesse et qu'il publia dans la revue "Souffles". Ce fut un exercice de style qui lui permit de mieux travailler sa langue, d'acquérir un sens de la mesure et du rythme qui donnent une dimension par trop poétique à ses romans.
L'immigration, la folie,les amours interdites,l'androgynie,le charlatanisme, les frustrations,l'enfance malheureuse, le père indigne, les prostitués, sont autant de thèmes qui forment le noyau dur de son œuvre romanesque. Ben Jelloun aime analyser (dans le sens psychanalytique du terme) la société à travers ses êtres de papiers clonés sur des êtres bien vivants, la disséquer tel un chirurgien, en allant là où elle souffre, là où elle a mal, là où elle est gangrénée. Tous les travers de la sociétés sont évoqués, mais aussi tout ce que cette société a d'humain, d'exotique, de charmeur et de surréaliste.
Arrivé en France en 1971 comme étudiant, il prépare et obtient un diplôme de doctorat en psychiatrie sociale. Sa formation de psychothérapeute l'aide à comprendre les problèmes des immigrés maghrébins en France et le conduit à écrire "la Plus Haute des Solitudes" en 1985. Mais c'est avec "l'Enfant du Sable" qu'il se fait le plus connaître. En 1987, il obtient le Prix Goncourt pour la "Nuit sacrée" qui le rend définitivement célèbre. Son essai -et désormais best seller- "Le racisme expliqué à ma fille"se vend à plus de 400 000 exemplaires et est traduit dans plus de 40 langues. Cet essai le propulse au rang de défenseur des immigrés et fait de lui l' avocat du "diable" qui dérange.
Et pour cause, il va même jusqu'à écrire une lettre ouverte à l'emporte-pièce au Président de la République Française Nicolas Sarkozy pour son discours de Grenoble. Son engagement social et politique ne l'éloignera jamais de la république des Lettres où il continue d'écrire tout en restant fidèle à ses principes. Membre du jury de l'Académie Goncourt depuis 2008 en remplacement de François Nourissier démissionnaire, il flingue sans pitié en 2010 l'islamophobe Michel Houellebecque: « Je dois dire que pour ma part, je ne l'aurais pas lu, si je n'y avais été obligé par mon appartenance à l'Académie Goncourt (...) » .
En tant que juré, il n'apprécie guère son roman la "Carte et le Territoire" auquel il reproche beaucoup d'imperfections. On notera quand même que malgré son opposition, houellebecque a eu le prix de cette Académie.
Tahar Ben Jelloun aime nager à contre-courant quitte à froisser une certaine critique de droite ou d'extrême droite mal pensante. Il continue à écrire tout en lisant beaucoup comme l'exigent ses fonctions au sein de l'Académie. Parti de rien, il est arrivé presque au sommet. Son challenge? Peut être un Prix Nobel...
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